Ma fidèle Lectrice de la Montagne, qui me fait l'amitié de témoigner de l'intérêt à ce blog, a répondu a mon article d'hier et a apporté sa pierre à l'édifice de notre débat fétiche, commencé il y a quelques mois. Voici ce qu'elle me rétorque :
"ma nouvelle théorie du saut à la perche : aucun élan, pas de déplacement et, surtout, aucune élévation verticale" ça s'appelle une démarche intellectuelle quelque chose comme de la méditation et c'est ce que m'inspire ce tableau. Toute recherche est dérisoire même celle qui consiste à restituer un éclairage, une ambiance, un paysage à l'aquarelle.
Elle a parfaitement raison, d'un certain point de vue. Il semble en effet que les artistes appartiennent à deux catégories distinctes : les adeptes du dépouillement et ceux de la prolifération. Ceux qui épurent et ceux qui accumulent, inventorient, classent ou élaborent frénétiquement. D'ailleurs, une même personne peut appartenir successivement à ces deux types, suivant les périodes qu'elle traverse. En cela, l'art ressemble trait pour trait à la vie. Il faut un temps pour tout, un pour manger, un pour digérer, dit toujours un sage de mes amis.
Soit. Mais que penser d'une personne qui passerait sa vie à acheter des livres sans jamais les lire? Pour en revenir à Mondrian, sa posture intellectuelle l'a occupé sans trève jusqu'à sa mort, à plus de 70 ans. Vu de l'extérieur, je dirais qu'il avait trouvé l'essentiel de ses idées très tôt dans sa vie, et qu'ensuite, il n'a fait que creuser le même sillon jusqu'à l'épuisement. Ca ressemble plus à une maladie qu'à une véritable quête, à mon sens, parce qu'au final, il a peint encore et toujours la même toile, à quelques infimes variations près.
C'est là que le bât blesse, dirais-je. Il me semble qu'il existe un subtil mouvement de balancier entre être et faire, en tout cas à notre humble niveau. Que c'est une question de dynamique qui anime l'Univers entier. J'ai l'impression que Mondrian était bloqué à l'un des extrêmes du balancier et que, pour cette raison précise, son art était paralysé, presque mort. Je ne sais pas si je me fais bien comprendre, mais j'ai le sentiment qu'il a tenté de figer un processus qui par essence est mouvement. J'admets qu'un spectateur puisse apprécier un moment de pause et s'abîmer dans la contemplation d'une oeuvre statique et morne, mais je ne conçois qu'à grand peine qu'un artiste s'ingénie à fixer définitivement sa vision. Il y a là-dedans quelque chose qui me froisse profondément, comme un fétichisme purement intellectuel qui me met profondément mal à l'aise.
Pour prendre un contre-exemple dont je ne suis pas fanatique non plus, afin de rester un peu objective, le foisonnement des toiles de Bruegel, à l'opposé du spectre artistique, me semblent davantage en phase avec la nature du travail artistique. Au quotidien, je trouve que nous bataillons avec une foule de concepts, d'idées, de découvertes géniales ou inutiles (voire les deux) qui se bousculent et provoquent cette exaltation un peu euphorique que l'on nomme l'inspiration. Ou peut-être que ça ne concerne que moi, à cause de ma nature échevelée. Et peut-être que c'est cette constitution fondamentale qui m'empêche d'être réceptive à toute forme de méditation artistique. Je trouve ces deux mots antinomiques et pourtant, tous deux font partie de mon dictionnaire amoureux du français...
Alors soit un jour, la synthèse m'apparaîtra clairement et je pousserai une exclamation de surprise et de joie au milieu de mon atelier, soit il faut concevoir qu'on ne peut pas tout avoir en même temps, de façon exclusive. Je n'ai pas de réponse à ce jour, alors dans le doute, je privilégierai encore la fluidité.