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Les secrets de l'Atelier de la Timbale
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24 novembre 2010

Structurer les surfaces et imiter la signature de l'Univers

WIP_5bAprès quelques jours de pause, je retrouve mon aquarelle où je l'avais laissée, c'est-à-dire juste avant d'aborder les véritables difficultés.  Histoire de me laisser un peu le temps de me mettre dans le bain, je décide d'attaquer par les verticales sombres des troncs qui vont structurer l'espace.  C'est un mot que j'aime bien, structurer : donner de la substance à ce qui en manque ou changer subtilement l'apparence de zones qui fonctionnent avec leur propre logique en substituant la mienne à la leur par un habile tour de passe-passe.  Les pinceaux ne proposant qu'un nombre fini d'artifices possibles, il faut choisir parmi ceux-ci afin de s'approcher aussi près qu'on le peut de ce qu'on a observé dans la nature.  Inutile de préciser qu'elle est bien plus variée qu'on peut l'imaginer.  Aussi s'agit-il de puiser dans ses propres ressources techniques pour donner l'illusion d'imiter ses textures. Dans le cas qui m'intéresse, il s'agit de recréer l'apparence rugueuse des troncs gangrenés de lichen.  Je dispose de pigments, d'eau et de divers pinceaux.  Je me lance : j'applique sur toute la hauteur du tronc un mélange soutenu de gris de Payne, de rose permanent et d'un marron moyen.  Total, sur le papier, ça ressemble à du bois humide vu à contre-jour.  Parfait, l'illusion fonctionne.  Pour la parfaire, je plonge un petit traînard dans de l'eau propre et je le pose dans la zone la plus foncée, en laissant diffuser le liquide à l'intérieur de la couleur.  Les accidents provoqués par la résistance du milieu aqueux rappellent la distribution aléatoire des lichens sur l'écorce.

WIP_5cLe plus dur est toujours devant moi : il me faut trouver une astuce pour donner l'impression à l'oeil du spectateur qu'il se trouve devant un tapis de feuilles mortes.  Autant on peut envisager à l'huile de superposer de petites mouchetures, à la façon des pointillistes, pour évoquer la multitude des feuilles et leurs couleurs variées, autant à l'aquarelle, il faut ruser comme un Sioux.  J'avais tout d'abord envisagé de superposer les couches de gomme à masquer en les croisant avec des taches déposées à l'aide d'un pinceau plat, mais j'ai renoncé quand je me suis dit que je pourrais obtenir un résultat au moins équivalent en tapotant simplement les poils d'un traînard de façon faussement désordonnée dans le sens de la longueur.  Le tout, c'est de ne jamais placer un "trait" parallèle à son voisin.  Il faut donc jouer du poignet avec dextérité.  J'ai inventé pour cela une théorie (c'est mon vice secret, l'invention de théories) que j'appelle la signature de l'Univers : si on observe par exemple la disposition des coquillettes dont le paquet vient d'exploser sur le sol de la cuisine à ses pieds, on pourra constater que les petites pâtes ont l'air de s'être réparties sans ordre apparent, dans la plus grande pagaille.  Mais, si on empoigne un marqueur jaune et qu'on essaie de reproduire ce désordre sur une feuille, on se rendra vite compte que ça ne ressemble jamais à ce qu'on a pu observer entre deux jurons sur le carrelage devant soi.  Eh oui, le désordre ambiant, quand il est naturel, n'est pas du tout aléatoire.  Il respecte des règles.  La gravité en est une.  Total, il faut se garder des gestes trop systématiques quand on cherche à imiter la facture de l'Univers.  Une observation attentive doit pouvoir donner une sorte d'idée générale du sens des mouvements à accomplir.  Ensuite, il faut s'interdire tout système qu'on appliquerait mécaniquement et veiller à conserver une certaine spontanéité, sans pour autant complètement lâcher les rênes.  C'est un métier.  Rigueur et fantaisie dans le même élan.

La petite photo ci-dessus donne une idée de ce que je veux dire.  En gros plan, la zone que j'ai traitée ne ressemble pas du tout à un amas de feuilles mortes.  Pourtant, quand on s'éloigne de la feuille, soudainement, cette trame confuse prend un sens.  Pour cela, on peut faire confiance au cerveau du spectateur : il aura envie de voir des feuilles mortes et s'arrangera pour décrypter ce qu'il discerne dans ce sens-là.  L'illusion n'a pas besoin d'être parfaite : c'est l'oeil qui se charge d'interpréter l'image dans cette direction précise. Il suffit de la lui suggérer habilement et on s'évite tous les tracas de l'hyperréalisme.  C'est un vrai bonheur de concevoir toutes ces petites ruses dans le secret de son atelier; on peut se prendre pour Géronimo à peu de frais...

WIP_6

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