La Providence
Le premier anniversaire de l'incendie qui a coûté sa flèche à Notre-Dame est tombé pendant le confinement. Il a été l'occasion de la diffusion de documentaires sur ce jour funeste, mais aussi sur la restauration en cours depuis lors, celle qui ne devrait durer que 5 ans. J'y ai vu des images frappantes non seulement du bâtiment dévoré par les flammes mais aussi des statues en cuivre oxydé déposées providentiellement trois jours avant le drame. La Providence... je tenais là un thème porteur. J'ai commencé à farfouiller sur le Net pour alimenter ma rêverie, et ai bientôt trouvé mon sujet, dans lequel Eléonore allait encore tenir le rôle principal.
Tout le problème se résumait pour moi à faire allusion aux événements et aux sentiments qu'ils m'avaient inspirés sans sauter à des conclusions faciles. Les réactions des visiteurs de l'expo m'ont parfois démontré que ça n'était pas si évident, puisqu'on m'a demandé de but en blanc ce que je pensais des responsabilités dans l'incendie, comme si ce tableau évoquait en creux ce problème. Ca m'a laissée songeuse et m'a rappelé un article que j'avais lu sur la propension de l'art contemporain à proposer un discours tout prêt sur les faits d'actualité. Justement, c'est ce que j'aimerais éviter...
D'un point de vue technique, je n'ai pas renoncé au trait, utilisant là encore mes plumes japonaises et leurs encres sepia ou grise (de mon propre dosage). Je trouvais qu'il s'adaptait avantageusement à la taille des motifs, leur conférant une certaine substance là où l'aquarelle seule aurait peut-être entretenu un certain flou.
J'ai procédé à l'envers du tout premier trableau de la série, en laissant le personnage principal en retrait par rapport à la confection du décor, ce qui m'a permis de jouer tout à mon aise avec l'eau et les pigments, en ne craignant pas de dénaturer des couleurs déjà posées sur le motif central.
A ce moment-là du travail, j'étais tentée de conserver à l'ensemble cet aspect assez frais et lumineux, mais cela m'évoquait davantage une aube radieuse qu'un soir tragique. Il fallait donc s'ingénier à outrer les contrastes pour atteindre l'effet que je souhaitais, au risque de perdre complètement la gamme de couleurs qui m'avait tapé dans l'oeil. C'est là que je dégaine en général mon gris de Payne. Le couteau suisse des pigments. Les lourdes volutes de l'incendie ne pouvaient que trouver en lui un partenaire de danse idéal. Et j'ai profité du travail dans l'humide pour sculpter dans la fumée ce que j'entendais comme l'écho des ailes que j'avais pensé coller à ma Providence au tout début du dessin. J'avais renoncé justement pour ne pas être trop explicite. Mais peut-être que du coup, je ne l'ai pas été suffisamment. Peu importe, à moment donné, c'est le spectateur qui écrit l'histoire, de toute façon. Celle que j'avais cru deviner chez ma visiteuse ne me convenait pas spécialement, mais d'autres passants se raconteront problablement des tas d'autres choses bien plus stimulantes, que je n'imagine encore même pas...