Cure de clair-obscur
J'avais enregistré sur Arte un documentaire très matinal sur les clairs-obscurs du Caravage, qui m'ont toujours fortement impressionnée. Même si cela n'apportait rien de vraiment nouveau à la question, quel plaisir de retrouver la maestria de ce peintre rebelle et querelleur, qui abordait chaque tableau comme un véritable duel ! Et surtout, on ne peut qu'éprouver une admiration sans borne pour un esprit aussi novateur. Il a été dans les premiers, sinon le premier, à représenter les personnages bibliques par des gens du peuple. Evidemment, il ne s'est pas fait que des amis, mais les cardinaux amateurs d'art ne s'y sont pas trompés, qui lui achetaient ses oeuvres dès que les autorités les faisaient enlever des églises auxquelles elles étaient initialement destinées. Une belle hypocrisie, d'un certain côté, mais aussi un indéniable discernement...
Personnellement, j'ai été fortement impressionnée par la Vocation de Saint Matthieu, dans lequel un rayon de lumière presque surnaturel accompagne le geste impératif de Jésus. Le saint, alors publicain à Capharnaüm, est ici figuré sous la forme d'un Monsieur Tout-le-monde, dans une taverne, et Jésus lui-même ne paie pas vraiment de mine, bien que le Caravage se soit inspiré de la fameuse main peinte par Michel-Ange au plafond de la Chapelle Sixtine. Malgré tout, il flotte sur la scène un petit air solennel dû à cet usage unique du clair-obscur fait par l'artiste. A la fois théâtral et inquiétant, puisque les personnages semblent surgir du néant.
Un directeur de la photographie s'ingéniait, dans le documentaire, à recréer l'éclairage de la fameuse partie de cartes de Georges de la Tour, et il ne lui fallait pas moins de trois projecteurs et plusieurs caches pour parvenir à approcher de l'impression originale du tableau. Or, le Caravage ne travaillait apparemment qu'à la lumière de torches !