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Les secrets de l'Atelier de la Timbale
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23 décembre 2010

Delacroix, le CAC 40 et le Code Civil

Une double page de l'Art de l'aquarelle posait la question de savoir à quoi diable pouvaient servir les artistes.  Drôle de question.  Les peintres interrogés donnaient diverses pistes, un peu confuses, visiblement destabilisés par cette curieuse association art/utilité, comme s'ils se sentaient soudainement obligés de justifier leur existence. 

Un artiste peut construire, élaborer, créer, innover, inventer, si bien qu'il accomplit forcément quelque chose.  Reste à savoir s'il peut s'agir de quelque chose d'utile.  Il peut aussi décorer, embellir, meubler et là encore, son action a changé l'état du monde qu'il habite.  Mais rendre joli, tout le monde ne considère pas cela comme une priorité, ni même comme quelque chose d'utile.  Un char d'assaut, c'est moche, mais ça sert, d'un certain point de vue.  Une toile n'est pas d'une aide considérable quand il s'agit de franchir un fossé pour aller débusquer l'ennemi.  Soit.  Enfin, un artiste peut interpeller, interroger, décrire, dénoncer, témoigner, critiquer, mettre en cause, remettre en question, et là, une fois de plus, on peut considérer que ça n'est pas franchement constructif et que seul le constructif est utile.

Quand on a posé le problème en ces termes, on voit clairement deux visions du monde se détacher.  D'un côté, les pragmatiques, de l'autre, les rêveurs.  Je simplifie à l'extrême, mais, finalement, quand on fait l'inventaire des forces souterraines qui régissent notre société, le compte est vite fait : la Peur et l'Amour.  Donc, quand on s'en tient à une logique comptable (parce que, finalement, quand on se demande à quoi sert quelque chose, on en arrive vite à tenter de quantifier son action de manière rationnelle pour pouvoir déterminer quel prix lui accorder...), un artiste, ça ne sert pas à grand-chose.  D'ailleurs, les quelques écrivains qui sont arrivés au pouvoir, au Pérou ou en République Tchèque, n'ont pas franchement brillé par leur réussite économique.  Ce qui n'empêche pas que les milieux de l'argent parviennent néanmoins souvent à détourner l'objet d'art de sa finalité première pour spéculer et générer davantage de richesse. Les subventions aux musées, collectifs artistiques, conservatoires de musique, etc., sont les premières à être sacrifiées en temps de récession ou de crise, parce qu'elles ne seront certainement pas rentabilisées dans l'année.  Difficile pour un philosophe ou un poète d'obtenir une bourse d'étude sur sa simple bonne mine ou de monter une petite entreprise de création d'idées neuves et de formes originales.

Et pourtant !  Que reste-t-il des civilisations perdues quelques millénaires plus tard ?  Comment peut-on mesurer concrètement le rayonnement d'un groupe humain une fois que son empire s'est effondré, que sa puissance militaire s'est éteinte et que son emprise politique sur ses voisins a décliné ?  Quels sont les ouvrages qui portent les peuples vers davantage de liberté ?  Quelles rencontres élèvent les hommes au lieu de leur maintenir la tête sous l'eau ?  Qui n'a pas grandi grâce à un livre ?  Qui n'a jamais senti d'autres univers à sa portée simplement en écoutant de la musique ?  Ce sont des séismes intimes qui ne se quantifient pas, pas plus qu'on en peut estimer le retentissement indirect au fil du temps.  Mais ils sont indispensables et les artistes en sont les vecteurs.  Ce sont eux qui facilitent l'émergence d'idées nouvelles.  Et ils n'ont pas à s'assurer que ces idées sont applicables ou exploitables.  Il leur incombe simplement d'en permettre l'apparition parmi nous.  On ne peut pas reprocher aux artistes de rêver le monde.  Ce sont des rêves fulgurants qui ont permis aux hommes d'abord de survivre puis de progresser.  Plus il y aura d'artistes parmi nous, plus notre vie intérieure sera riche.  L'invention véritable, le fait de créer à partir du néant une forme nouvelle, quelle qu'elle soit, est extrêmement rare.  Elle est l'apanage de quelques visionnaires dont notre espèce est relativement avare, alors que nous pouvons aisément récupérer des idées qui sont dans l'air du temps, pour les améliorer ou les regrouper de façon dynamique, grâce à ceux qui ont eu la clairvoyance de les attraper au vol.

Il reste parmi nous des esprits libres et curieux, une avant-garde délivrée des obligations de rentabilité qui occupent les hommes d'affaires et les politiques.  C'est une chance pour nous tous.  Si leurs trouvailles n'inaugurent pas immédiatement une ère de prospérité nouvelle, en tout cas, elles embellissent et enrichissent souvent notre quotidien, et leur fréquentation élève l'âme.  Ca n'est déjà pas si mal.  Dans un élan d'enthousiasme un peu anachronique, on pourrait même dire que c'est l'Essentiel.

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Commentaires
P
Chère Christine,<br /> <br /> Bien que ne commentant pas systématiquement chacun de tes articles, je n'en demeure pas moins l'un des lecteurs les plus attentifs !<br /> J'éprouve autant de bonheur à dévorer des yeux ton travail pictural qu'à parcourir tes réfléxions scripturales autour de cette passion partagée. Le style et la richesse du langage n'ont rien à envier aux meilleurs chroniqueurs d'art... Celles et ceux qui te connaissent y retrouveront sans l'ombre d'un doute la sensibilité, le dynamisme, mais aussi la véhémence qui te caractérisent.<br /> Merci encore de partager avec nous tes états d'âme artistiques.<br /> bises
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