C'est d'un pompier !
J'emprunte ce titre à Achille Talon, hop, pour polémiquer dans la bonne humeur et tenter de réparer une affreuse injustice artistique, qui a peut-être été bien méritée, mais on pourrait quand même passer l'éponge, après tant de décennies... Je veux parler des peintres qu'on a qualifiés avec malveillance de "pompiers", non pas qu'ils entretenaient une quelconque relation avec certains camions rouge vif audibles de loin, mais qu'ils abusaient, au goût de certain de la pompe, cette accumulation hyperbolique dont ont a fini par penser qu'elle nuisait au sujet.
Illustration par l'exemple : La naissance de Vénus, de William Bouguereau, datant de 1879. Evidémment, on peut se laisser distraire par l'abondance d'angelots, les liserés argentés des nuages, la drôle de tête du dauphin, la virilité encombrante du centaure, l'abondance des chairs représentées sur un seul tableau, mais quand même, il faut bien avouer que le gars connaissait son affaire. Le rendu des carnations laiteuses ou hâlées, les plans de plus en plus diaphanes à mesure qu'on s'approche du ciel, la transparence de l'eau, l'harmonie absolue des proportions et de la composition sont autant d'écueils qui seraient fatals à énormément de peintres vivants. Mais voilà, Bouguereau porte une étiquette qui le voue aux gémonies contemporaines : l'académisme. Il faut désormais sortir des sentiers battus, explorer sa psyché, vider ses tripes sur la toile, bousculer les conventions, traquer ses moindres petites névroses jusqu'aux recoins les plus reculés de sa vie intime pour susciter l'intérêt. L'art est devenu éminemment individuel et ne dit plus la pensée collective ou sociale. Il faut s'affranchir des codes que les générations d'artistes qui nous ont précédés ont mis des siècles à formuler parce qu'à la longue, ils ont été ressentis non plus comme des canons garantissant l'accès au Beau mais comme des camisoles qui restreignaient la liberté d'expression des artistes. Exiunt les Bouguereau et les Gérôme, c'était l'avénement des Impressionnistes.
Jean-Léon Gérôme, l'auteur de cet admirable Pollice verso de 1872 fut d'ailleurs un ardent détracteur de cette nouvelle école, qui tournait le dos aux scènes mythologiques pour s'émouvoir devant des couchers de soleil vénitiens. Il aurait eu bien du mal à prévoir le succès de ces peintres de plein-air et doit encore se retourner dans sa tombe en voyant la postérité qui est la leur, quand son nom à lui, s'il n'est pas tombé dans l'oubli, brille cependant avec moins d'éclat aujourd'hui. Et pourtant, je ne sais pas si cela ne fait cet effet-là qu'à moi, mais quel bonheur dans ces rais de lumière qui scandent l'espace de cette arène romaine ! Et ces petits personnages qui composent la foule des places au soleil ! Quelle maestria !
Le Petit Palais, entre autres, permet encore de succomber à l'enchantement de ces peintres si injustement décriés. Peut-être ont-ils pêché par orgueil. Ils étaient peut-être arrivés au bout du bout de ce que la figuration permettait. Ou alors, l'application de recettes figées a fini par lasser un public avide de sensations nouvelles. Je ne sais pas, toujours est-il que, comme dirait une amie peintre que la fréquentation des musées ravit autant qu'elle la désespère, "ça me rend malade" ! De jalousie, bien sûr. Je suis cependant ravie de voir parfois émerger quelques dignes héritiers de ces virtuoses, comme par exemple l'américain Graydon Parrish, pour ne citer que lui. Dommage qu'il faille aller à l'autre bout du monde pour fréquenter les émules de nos génies nationaux !
Graydon Parrish, The cycle of terror and tragedy (illustration des attentats du 11 septembre 2001, les jumeaux aux yeux bandés représentant les deux tours du World Trade Center).