L'embarras du choix

Quand vient le moment d'entamer un nouveau chantier artistique se pose la question de savoir ce qu'on va peindre ensuite.  Quand aucune commande ne vient résoudre cette singulière énigme, il faut relever ses manches mentales et faire des choix, c'est-à-dire composer entre les envies irraisonnées et les idées constructives.  Je n'aime pas beaucoup ce moment-là, c'est pourquoi j'ai pris l'habitude de le dissocier de celui qui me verra attaquer une nouvelle aquarelle.  Avant que je ne m'organise, je pouvais perdre une après-midi entière à hésiter entre tel et tel sujet, en brassant des tas d'idées à la fois sans pouvoir en distinguer aucune des autres.  Comme quand on arrive affamé devant un buffet bien garni.  A force d'hésitations, je me retrouvais nauséeuse avec trois traits jetés sur une feuille devant moi et rien de vraiment sérieux en cours, excédée à l'extrême par la répétition de ce petit scénario stérile.

A présent, j'ai des petits cahiers de cogitations pleins de projets embryonnaires.  Ca n'est pas pour autant que je sors systématiquement une idée de leurs pages, parfois, comme aujourd'hui, je suis tenaillée par une image tenace qui s'impose à moi depuis des jours, en filigrane, et qui n'attend que l'occasion de jaillir sur la feuille.  En l'occurrence, j'avais une fringale de jaune depuis une balade féérique au bord du canal la semaine dernière, pendant la dernière belle journée de l'automne.

Comme un bonheur n'arrive jamais seul, François, un ami photographe qui a une sensibilité assez proche de la mienne et avec lequel j'ai exposé en avril dernier, a profité de la même journée pour commettre une série de clichés assez spectaculaires dans les vergers autour d'Irancy, si bien que nous avons naturellement convenu de travailler sur le même thème en vue de se retrouver autour de cimaises communes.  Je vais pouvoir donc faire d'une pierre deux coups et joindre l'utile à l'agréable en commençant à plancher sur une série automnale à dominante jaune dont je peux déjà imaginer à quoi ressemblera l'aboutissement naturel.

Restait à choisir le premier sujet de la série et, miracle, ça n'a pas pris longtemps : j'avais pris une photo à la sauvette d'un vieux camion laissé garé sous les arbres d'un parc, au milieu des feuilles mortes, en remontant de ma balade.  Or, j'ai déjà travaillé sur ce genre de thème, que j'affectionne beaucoup.  Je pourrai donc croiser cette série saisonnière avec une autre, en pointillés, à laquelle je reviens régulièrement : celle des vieilles mécaniques abandonnées de nos campagnes.  Une raison de plus de me réjouir, donc.