La foire aux couleurs
Quand j'ai commencé à peindre à l'aquarelle, il y a de ça une vingtaine d'années, je ne disposais que d'une petite boîte d'une douzaine de godets, que j'avais achetée garnie. J'étais alors une piètre coloriste et je le suis restée longtemps, convaincue que j'étais qu'une bonne peinture était avant tout due à un dessin solide. J'ai quand même fini par me poser quelques questions, notamment grâce à l 'observation du travail subtil de collègues dont j'admirais les nuances bien plus fines que les miennes. Quelques lectures bienvenues ont achevé de me convaincre de l'importance primordiale des couleurs utilisées.
J'ai aujourd'hui davantage de choix mais je me rends compte que, de plus en plus, mes pinceaux me guident vers les pigments les plus lumineux, au détriment de nuances que j'avais l'habitude d'utiliser abondamment jusqu'à ce que je me mettre à sciemment travailler mes gammes. Si mes choix s'orientent davantage vers certains pigments, je reste cependant assez fidèle à la marque Winsor & Newton, qu'on trouve facilement dans le commerce et qui offre une grande variété de couleurs de très bonne qualité.
Lorsque je ne disposais que d'une petite boîte, je ne me suis jamais sentie handicapée par une semblable économie de moyens. A vrai dire, c'était assez formateur, puisqu'il fallait bien que je parvienne à obtenir les nuances que je recherchais à partir de ce catalogue réduit. Par contre, il était hors de question, par exemple, de peindre un bouquet de roses en gros plan, puisque je ne disposais que de rouge dans ma palette et que, même en le diluant, je n'obtenais jamais que du rouge clair, ce qui n'a rien à voir avec les différentes variétés de rose que peuvent offrir nos jardins.
Comme la plupart des assortiments vendus par les fabricants, ma petite boîte ne contenait pas de noir. J'ai donc pris l'habitude de le fabriquer à partir de gris de Payne et de terre de sienne brûlée. Quant au blanc, je me suis toujours contentée de celui du papier. De toute façon, celui qui figure dans ma palette actuelle n'est pas suffisamment dense pour se voir quand on l'applique sur un fond coloré.
Depuis peu, j'avoue avoir succombé à une petite lubie : l'usage récurrent de violets obtenus par le mélange de bleu Winsor et de rose permanent. Ce sont des couleurs qui ne se mêlent pas volontiers et il faut insister pour que les pigments coexistent dans la même tache d'eau, mais justement, suivant l'énergie qu'on met à les faire cohabiter, on peut obtenir des effets assez intéressants au séchage. Les nuances obtenues vibrent joyeusement et animent efficacement les zones qu'elles occupent. Je m'en remets de plus en plus souvent à elles pour faire chatoyer aussi les régions sombres de l'image. En prime, elles se combinent admirablement aux jaunes orangés, notamment le jaune de Naples, dont je fais également une grosse consommation.